L’art d’arbitrer 6 : Cléromancie fictionnelle

Vers le chapitre 5

On a conditionné de nombreux MJ à croire qu’il n’y aurait que deux résultats possibles à chaque test de compétence. Le personnage a une intention qu’il tente de réaliser et soit il réussit, soit il échoue. Soit on franchit le fil tendu au-dessus du ravin, soit on tombe et on meurt.

En réalité, lorsque nous prenons la décision de lancer les dés, ce que nous disons en fait, c’est : « Il y a plus d’une issue possible à cette action. Voyons ensemble laquelle se produit. » C’est une cléromancie fictionnelle : un tirage au sort pour déterminer un destin. Et quand nous disons que notre cléromancie ne peut avoir que deux résultats possibles, nous limitons l’efficacité de cette forme de divination.

La cléromancie (klêromanteia - de kléros : le hasard et mantikê : connaître l'avenir) est l'art de dire l'avenir par tirage au sort. Elle emploie comme agent révélateur un mouvement provoqué par l'homme et dirigé par le hasard, celui-ci étant considéré comme l'expression de la volonté divine.

Cléromancie - Wikipedia

Résultats Gradués

La façon la plus facile de s’éloigner de la dynamique simple succès/échec est de décider d’une seule valeur correspondant à la difficulté, mais d’interpréter ensuite le résultat en fonction de la marge de succès ou de la marge d’échec. Une mesure très simple et universelle pour évaluer les résultats ressemble à ceci :

Succès
Succès partiel
Échec partiel
Échec

Dans D&D3.5, nous pourrions fixer nos marges à 5. Si vous réussissez un test par moins de 5 points, vous avez obtenu un succès partiel. Si vous échouez à un test mais que votre résultat est à moins de 5 points du DD (Degré de Difficulté), vous n’avez subi qu’un échec partiel. L’idée clé derrière tout résultat partiel est qu’il ne rapporte pas tous les avantages de la réussite ou toutes les pénalités de l’échec - et il s’accompagnera souvent de la possibilité de prendre des mesures supplémentaires pour améliorer votre résultat.

Par exemple, un personnage pourrait tenter de franchir un gouffre en sautant. Le MJ demande un test de saut de DD 15. Si la joueuse obtient 20 (soit une marge de réussite de 5), son personnage franchit facilement le gouffre et atterrit de l’autre côté. Par contre, si elle obtient un 16, elle n’obtiendra qu’un succès partiel et le MJ pourra décider que le PJ a réussi à sauter par-dessus le gouffre mais qu’elle se retrouve à plat ventre de l’autre côté. Dans le même temps, un résultat de 12 (une marge d’échec de 3) pourrait la faire échouer de peu, mais elle parviendrait à s’accrocher à la corniche de l’autre côté (ce qui lui donnerait la possibilité de se hisser). Ce n’est qu’en obtenant un résultat de 10 ou moins (avec une marge d’échec de 5+) que le personnage tombera inévitablement dans le gouffre.

Il est également très facile d’élargir cette graduation. Les jets d’attaque en combat fournissent un exemple simple : une marge de réussite de 5 pourrait accorder des dommages de +2, une marge de réussite de 10 pourrait accorder des dommages de +4, et ainsi de suite. Dans certains cas, le concept de « succès » ou d’« échec » s’évapore complètement – il n’y a que la question de savoir si le personnage a bien - ou mal - réussi.

Une autre façon d’envisager le succès gradué est que, lorsqu’il y a plusieurs résultats possibles, le MJ modélise cela en attribuant plusieurs difficultés. J’utilise souvent cette technique avec les tests de collecte d’informations, par exemple :

DD

Collecte d’informations

10

« Robert » s’est renseigné il y a quelques mois sur les tailleurs de pierre et les charpentiers à la recherche de travail. S’il a trouvé quelqu’un, personne ne sait qui.

15

« Robert » essayait d’acheter de grandes quantités de vif-argent. Il logeait quelque part dans le nord de la vieille ville.

20

« Robert » logeait à la Lune Brisée, mais personne ne l’a vu depuis un certain temps.

Notez que les deux méthodes ne sont que des façons différentes de voir la même chose. Nous pourrions tout aussi bien rédiger ce tableau de renseignements comme suit :

Marge

Collecte d’informations

0

« Robert » s’est renseigné il y a quelques mois sur les tailleurs de pierre et les charpentiers qui pourraient chercher du travail. S’il a trouvé quelqu’un, personne ne sait qui.

+5

« Robert » essayait d’acheter de grandes quantités de vif-argent. Il logeait quelque part dans le nord de la vieille ville.

+10

« Robert » logeait à la Lune Brisée, mais personne ne l’a vu depuis un certain temps.

 

Test de Réussite Simple

Maintenant que nous comprenons que les résolutions mécaniques peuvent produire un spectre de résultats, nous pouvons également franchir l’étape suivante en réalisant que ce spectre n’a pas besoin d’être exhaustif. Les résultats possibles pour un test de compétence donné ne doivent pas nécessairement aller de « l’échec lamentable » au « succès exceptionnel ».

couverture de Eclipse PhaseUne technique que je trouve particulièrement précieuse est appelée « test de réussite simple » dans Eclipse Phase grog. Il s’agit d’une action où l’on accepte que le personnage va réussir. La seule question est de savoir combien de temps cela lui prendra ou quelle sera la qualité de son succès.

Si on se remémore notre discussion précédente sur « Faire 1 » ptgptb, on peut voir comment des tests de réussite simples peuvent mathématiquement  se transformer en de nombreuses mécanismes de résolution : le succès est garanti quel que soit le résultat du jet, et le seul but du jet est donc de déterminer l’envergure de ce succès.

Vous pouvez voir la même chose sur les tables de renseignements ci-dessus. Un résultat de 9 sur le test de compétence entraînerait un échec – ils n’apprennent rien sur le soi-disant « Robert ». Mais si le personnage a un modificateur de +9 sur sa compétence de collecte d’informations, le succès est garanti. Il apprendra certainement quelque chose sur « Robert ». Il s’agit juste de savoir la quantité d’informations qu’ils recueillent.

En pratique, bien sûr, nous n’avons pas toujours besoin d’effectuer un calcul mécanique pour justifier le test de réussite simple. Nous pouvons simplement décider que, par exemple, les personnages sont des professionnels et que ce n’est pas le genre de tâche pour laquelle il existe un risque significatif d’échec pour eux. À ce stade, nous pouvons soit répondre « oui » par défaut (1) et déclarer l’action réussie, soit nous tourner vers notre cléromancie fictionnelle pour découvrir le degré de réussite du personnage.

Nous pourrions aussi hypothétiquement parler de tests où l’échec est garanti et le test mécanique détermine simplement le degré de cet échec. Je me méfie généralement d’une telle approche, car j’ai l’impression qu’elle est le plus souvent utilisée de manière abusive pour imposer des pratiques dirigistes ptgptb. Mais il n’est pas impossible d’envisager une situation dans laquelle un personnage pourrait délibérément choisir un plan d’action pour lequel il sait qu’il n’y a aucune possibilité de succès. La bataille des Thermopyles wiki serait un exemple épique de cela dans la pratique.

Les Revers Fructueux

Une autre façon d’envisager le test de réussite simple est le concept de revers fructueux.

Dans sa forme la plus élémentaire, le revers fructueux est très peu discernable du test de réussite simple. L’échec mécanique est décrit comme étant un succès avec des complications dans l’univers dr jeu.

La distinction clé, si elle existe, est qu’avec un test de réussite simple, le MJ décide mécaniquement que l’échec est impossible avant que le dé ne soit lancé. Un revers fructueux, par contre, est une interprétation d’un résultat d’échec mécanique après qu’il a été généré. Mais, en pratique, cette ligne est assez floue.

Par exemple, Lucas tente de crocheter la serrure de la porte de la salle des dossiers et échoue à son test de compétence. Le MJ décide que Lucas a quand même réussi à ouvrir la porte… mais que cela lui a pris trop de temps et qu’il a été repéré par le gardien de nuit. Ou bien son crochet de serrurier s’est cassé. Ou bien il a été filmé par une caméra et les méchants pourront le retrouver plus tard.

En fait, il existe un grand nombre de techniques utiles que vous pouvez explorer si vous vous éloignez du paradigme de base succès/échec. J’aimerais toutefois vous mettre en garde contre le concept de « revers fructueux », car cette terminologie a attiré quelques idées pernicieuses.

Tout d’abord, il est devenu curieusement fétichisé par quelques joueurs et joueuses qui pensent que cela devrait être utilisé à chaque fois. Ça semble être principalement dû au fait que les gens croient que l’échec entraîne automatiquement l’arrêt de l’aventure. L’exemple classique est de ne pas réussir à trouver un indice et que le scénario d’enquête s’arrête.

Cependant, comme le démontre la règle des trois indices ptgptb, la solution à ce problème est d’offrir plusieurs pistes vers le succès. Et le fait d’être obligé de contourner les « barrages » créés par vos échecs vous mènera dans des directions que vous n’aviez jamais prévues. Si vous n’aviez pas échoué à soudoyer les gardes pour qu’ils vous laissent entrer par la porte de derrière, vous n’auriez jamais escaladé les murs du château, vous ne seriez jamais entré par la fenêtre et ne seriez jamais tombé amoureux de la princesse que vous y avez trouvée. L’échec est souvent le point de départ des situations les plus passionnantes et des histoires les plus mémorables. L’écarter complètement n’enrichira pas vos parties, il les appauvrira. Comme le dirigisme, il s’agit d’une technique déséquilibrée (broken), appliquée à la hâte comme une rustine sur une autre technique déséquilibrée.

En parlant de dirigisme, l’autre problème majeur de l’expression « revers fructueux » est qu’elle a accumulé une certaine connotation pour avoir été utilisée par des MJ qui s’en servent pour garder les PJ sur le chemin qu’ils ont tracé. C’est peut-être en fait l’origine du terme ; l’élément « fructueux » étant la direction que l’intrigue pré-planifiée est censée prendre.

Mais aucun de ces problèmes n’est inhérent au concept de base, et ce peut être un élément très utile à ranger dans votre boîte à outils.

Vers le chapitre 7

Article original : Art of Rulings – Part 6 : Fictional Cleromancy

Sélection de commentaires

Baquies

Je me souviens également d’une idée intéressante que quelqu’un a présenté un jour sur le fait que les quasi-échecs représentaient le fait d’apprendre qu’il vaut mieux ne pas essayer en premier lieu.

Cela fut discuté dans le contexte de nos héros qui, parfois, font facilement tomber une arme des mains d’un adversaire, et d’autres fois n’essaient même pas. Il est rare qu’ils tentent un tel geste et se fassent poignarder ou tirer dessus pour leur peine.

Justin Alexander

@Baquies : Cela me rappelle un très vieux fil de discussion sur RPGNet où les gens parlaient de la façon dont les combats étaient résolus dans la série originale de Star Trek. Les personnages principaux ne perdaient jamais un combat, mais ils se rendaient souvent sans combattre. La suggestion était de résoudre l’ensemble du combat ; et si le résultat était un échec total pour les héros, alors le combat n’avait pas lieu. Les héros se rendaient, tout simplement.

Un système similaire fonctionnerait probablement très bien pour un JdR de style « James Bond ».

Dan Dare

J’ai aimé le système de résolution « incertain » que j’ai vu pour la première fois dans Traveller 2300 grog où la joueuse et le MJ font tous deux un jet (le MJ cache le sien). Le résultat réel est une combinaison des deux jets, mais la joueuse ne sait que si son jet a été bon ou mauvais.

Un exemple de son utilisation est la réparation d’un moteur cassé sur une voiture. Si la joueuse obtient un mauvais résultat mais que la voiture semble démarrer correctement, elle ne sait pas si elle a réussi ou s’il y a un échec caché qui se manifestera plus tard. Si elle obtient un bon résultat, il n’y a pas d’échec caché, mais la performance finale n’est peut-être pas aussi bonne qu’elle aurait pu l’être. Elle peut choisir de juste rouler comme ça ou de faire un double diagnostic afin de s’assurer que tout va bien.

Un autre Dan

Je pense que Savage Worlds grog a adopté la moitié de cette philosophie. Il est relativement simple d’obtenir un succès sur un jet pour un personnage compétent, mais, pour chaque tranche de quatre dépassant le score à atteindre, vous obtenez une « augmentation » et des trucs bénéfiques se produisent en bonus. Par exemple, si vous réparez une voiture, vous obtenez un succès au dé et vous en réparez une partie. Cependant, si vous obtenez un succès et une augmentation, vous en réparez davantage ou cela prend moins de temps, en fonction de l’état du véhicule. Il serait difficile de mettre en place une option de degré d’échec autre que l’échec ou l’échec critique, mais il serait intéressant d’essayer.

Je crois que ce que je veux dire, c’est que cette idée a connu de nombreuses variations en fonction du type de jeu auquel on veut jouer. Je suggère fortement de jouer davantage avec cette idée dans vos propres campagnes, car elle donne beaucoup plus de profondeur aux possibilités du joueur sans que le MJ ait à fournir le moindre effort.

Charles R

N’y a-t-il pas une idée similaire dans Burning Wheel grog (ou est-ce que je pense à un autre système) ?

Quoi qu’il en soit, l’idée est que si tu lances un dé mais que ce n’est pas un succès complet, tu peux augmenter le résultat, mais avec un coût – un peu comme les exemples d’échec partiel que tu donnes pour réussir à crocheter une serrure mais en étant repéré ou casser ses outils.

C’est en fait présenté comme un bon moyen de faire avancer l’histoire, car chaque complication de ce type rajoute un problème que les PJ peuvent avoir à résoudre.

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